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Cette lettre terminee, le pet.i.t Chose en commence tout de suite une autre ainsi concue:
"Monsieur l"abbe, je vous prie de faire parvenir a mon frere Jacques la lettre que je laisse pour lui. En meme temps vous couperez de mes cheveux, et vous en ferez un pet.i.t paquet pour ma mere.
"Je vous demande pardon du mal que je vous donne. Je me suis tue parce que j"etais trop malheureux ici. Vous seul, monsieur l"abbe, vous etes toujours montre tres bon pour moi. Je vous en remercie.
DANIEL EYSSETTE."
Apres quoi le pet.i.t Chose met cette lettre et celle de Jacques sous une meme grande enveloppe, avec cette suscription: "La personne qui trouvera la premiere mon cadavre est priee de remettre ce pli entre les mains de l"abbe Germane." Puis, toutes ses affaires terminees, il attend tranquillement la fin de l"etude.
L"etude est finie. On soupe, on fait la priere, on monte au dortoir.
Les eleves se couchent; le pet.i.t Chose se promene de long en large, attendant qu"ils soient endormis. Voici maintenant M. Viot qui fait sa ronde; on entend le cliquetis mysterieux de ses clefs et le bruit sourd de ses chaussons sur le parquet.-"Bonsoir, monsieur Viot!" murmure le pet.i.t Chose.-"Bonsoir, monsieur!" repond a voix ba.s.se le surveillant; puis il s"eloigne, ses pas se perdent dans le corridor.
Le pet.i.t Chose est seul. Il ouvre la porte doucement et s"arrete un instant sur le palier pour voir si les [90] eleves ne se reveillent pas; mais tout est tranquille dans le dortoir.
Alors il descend, il se glisse a pet.i.ts pas dans l"ombre des murs.
La tramontane souffle tristement par-dessous les portes. Au bas de l"escalier, en pa.s.sant devant le peristyle, il apercoit la cour blanche de neige, entre ses quatre grands corps de logis tout sombres.
La-haut, pres des toits, veille une lumiere: c"est l"abbe Germane qui travaille a son grand ouvrage. Du fond de son cur le pet.i.t Chose envoie un dernier adieu, bien sincere a ce bon abbe; puis il entre dans la _salle_....
Le vieux gymnase de l"ecole de marine est plein d"une ombre froide et sinistre. Par les grillages d"une fenetre un peu de lune descend et vient donner en plein sur le gros anneau de fer,-oh! cet anneau, le pet.i.t Chose ne fait qu"y penser depuis des heures,-sur le gros anneau de fer qui reluit comme de l"argent.... Dans un coin de la _salle_ un vieil escabeau dormait. Le pet.i.t Chose va le prendre, le porte sous l"anneau, et monte dessus; il ne s"est pas trompe, c"est juste a la hauteur qu"il faut.
Alors il detache sa cravate, une longue cravate en soie violette qu"il porte chiffonnee autour de son cou, comme un ruban. Il attache la cravate a l"anneau et fait un nud coulant.... Une heure sonne. Allons! il faut mourir.... Avec des mains qui tremblent le pet.i.t Chose ouvre le nud coulant. Une sorte de fievre le transporte. Adieu, Jacques! Adieu, Mme Eyssette!...
Tout a coup un poignet de fer s"abat sur lui. Il se sent saisi par le milieu du corps et plante debout sur ses pieds, au bas de l"escabeau.
En meme temps une voix [91] rude et narquoise, qu"il connait bien, lui dit: "En voila une idee, de faire du trapeze a cette heure!"
Le pet.i.t Chose se retourne, stupefait.
C"est l"abbe Germane, l"abbe Germane sans sa soutane, en culotte courte, avec son rabat flottant sur son gilet. Sa belle figure laide sourit tristement, a demi eclairee par la lune.... Une seule main lui a suffi pour mettre le suicide par terre; de l"autre main il tient encore sa carafe, qu"il vient de remplir a la fontaine de la cour.
De voir la tete effaree et les yeux pleins de larmes du pet.i.t Chose, l"abbe Germane a cesse de sourire, et il repete, mais cette fois d"une voix douce et presque attendrie:
- Quelle drole d"idee, mon cher Daniel, de faire du trapeze a cette heure!
Le pet.i.t Chose est tout rouge, tout interdit.
- Je ne fais pas du trapeze, monsieur l"abbe, je veux mourir.
- Comment!... mourir?... Tu as donc bien du chagrin?
- Oh!... repond le pet.i.t Chose avec de grosses larmes brulantes qui roulent sur ses joues.
- Daniel, tu vas venir avec moi, dit l"abbe.
Le pet.i.t Daniel fait signe que non et montre l"anneau de fer avec la cravate.... L"abbe Germane le prend par la main: "Voyons! monte dans ma chambre; si tu veux te tuer, eh bien! tu te tueras la-haut: il y a du feu, il fait bon."
Mais le pet.i.t Chose resiste: "Laissez-moi mourir, monsieur l"abbe.
Vous n"avez pas le droit de m"empecher de mourir."
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Un eclair de colere pa.s.se dans les yeux du pretre: "Ah! c"est comme cela!" dit-il. Et prenant brusquement le pet.i.t Chose par la ceinture, il l"emporte sous son bras comme un paquet, malgre sa resistance et ses supplications....
Nous voici maintenant chez l"abbe Germane: un grand feu brille dans la cheminee; pres du feu, il y a une table avec une lampe allumee, des pipes et des tas de papier charges de pattes de mouche.
Le pet.i.t Chose est a.s.sis au coin de la cheminee. Il est tres agite, il parle beaucoup, il raconte sa vie, ses malheurs et pourquoi il a voulu en finir. L"abbe l"ecoute en souriant; puis, quand l"enfant a bien parle, bien pleure, bien degonfle son pauvre cur malade, le brave homme lui prend les mains et lui dit tres tranquillement:
- Tout cela n"est rien, mon garcon, et tu aurais ete joliment bete de te mettre a mort pour si peu. Ton histoire est fort simple: on t"a cha.s.se du college,-ce qui, par parenthese, est un grand bonheur pour toi....
-eh bien! il faut partir, partir tout de suite, sans attendre tes huit jours.... Ton voyage, tes dettes, ne t"en inquiete pas! je m"en charge....
L"argent que tu voulais emprunter a ce coquin, c"est moi qui te le preterai. Nous reglerons tout cela demain.... A present plus un mot! j"ai besoin de travailler, et tu as besoin de dormir.... Seulement je ne veux pas que tu retournes dans ton affreux dortoir: tu aurais froid, tu aurais peur; tu vas te coucher dans mon lit de beaux draps blancs de ce matin!...
Moi, j"ecrirai toute la nuit, et si le sommeil me prend, je m"etendrai sur le canape.... Bonsoir! ne me parle plus.
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Le pet.i.t Chose se couche, il ne resiste pas.... Tout ce qui lui arrive lui fait l"effet d"un reve. Que d"evenements dans une journee!
Avoir ete si pres de la mort, et se retrouver au fond d"un bon lit, dans cette chambre tranquille et tiede!... Comme le pet.i.t Chose est bien!...
De temps en temps, en ouvrant les yeux, il voit sous la clarte douce de l"abat-jour le bon abbe Germane qui, tout en fumant, fait courir sa plume, a pet.i.t bruit, du haut en bas des feuilles blanches....
...Je fus reveille le lendemain matin par l"abbe qui me frappait sur l"epaule.
J"avais tout oublie en dormant.... Cala fit beaucoup rire mon sauveur.
- Allons! mon garcon, me dit-il, la cloche sonne, depeche-toi; personne ne se sera apercu de rien, va prendre tes eleves comme a l"ordinaire; pendant la recreation du dejeuner je t"attendrai ici pour causer.
La memoire me revint tout d"un coup. Je voulais le remercier; mais positivement le bon abbe me mit a la porte.
Si l"etude me parut longue, je n"ai pas besoin de vous le dire....
Les eleves n"etaient pas encore dans la cour, que deja je frappais chez l"abbe Germane. Je le retrouvai devant son bureau, les tiroirs grands ouverts, occupe a compter des pieces d"or, qu"il alignait soigneus.e.m.e.nt par pet.i.ts tas.
Au bruit que je fis en rentrant il retourna la tete, puis se remit a son travail, sans rien me dire; quand il eut fini, il referma ses tiroirs, et me faisant signe de la main avec un bon sourire:
- Tout ceci est pour toi, me dit-il. J"ai fait ton compte.
Voici pour le voyage, voici pour le portier, voici pour le cafe Barbette, [94] voici pour l"eleve qui t"a prete dix francs.... J"avais mis cet argent de cote pour faire un remplacant a Cadet; mais Cadet ne tire au sort que dans six ans, et d"ici la nous nous serons revus.
Je voulus parler, mais ce diable d"homme ne m"en laissa pas le temps: "A present, mon garcon, fais-moi tes adieux... voila ma cla.s.se qui sonne, et quand j"en sortirai, je ne veux plus te retrouver ici. L"air de cette Bastille ne te vaut rien.... File vite a Paris, travaille bien, prie le Bon Dieu, fume des pipes, et tache d"etre un homme. -Tu m"entends, tache d"etre un homme. -Car vois-tu! mon pet.i.t Daniel, tu n"es encore qu"un enfant, et meme j"ai bien peur que tu ne sois un enfant toute ta vie."
La-dessus il m"ouvrit les bras avec un sourire divin; mais, moi, je me jetai a ses genoux en sanglotant. Il me releva et m"embra.s.sa sur les deux joues.
La cloche sonnait le dernier coup.
- Bon! voila que je suis en r.e.t.a.r.d, dit-il en ra.s.semblant a la hate ses livres et ses cahiers. Comme il allait sortir, il se retourna encore vers moi:
- J"ai bien un frere a Paris, moi aussi, un brave homme de pretre, que tu pourrais aller voir.... Mais, bah! a moitie fou comme tu l"es, tu n"aurais qu"a oublier son adresse....-Et, sans en dire davantage, il se mit a descendre l"escalier a grands pas. Sa soutane flottait derriere lui; de la main droite il tenait sa calotte, et, sous le bras gauche, il portait un gros paquet de papiers et de bouquins.... Bon abbe Germane!
Avant de m"en aller, je jetai un dernier regard autour de sa chambre; je contemplai une derniere fois la grande [95] bibliotheque, la pet.i.te table, le feu a demi eteint, le fauteuil ou j"avais tant pleure, le lit ou j"avais dormi si bien; et, songeant a cette existence mysterieuse dans laquelle je devinais tant de courage, de bonte cachee, de devouement et de resignation, je ne pus m"empecher de rougir de mes lachetes, et je me fis le serment de me rappeler toujours l"abbe Germane.
En attendant, le temps pa.s.sait.... J"avais ma malle a faire, mes dettes a payer, ma place a retenir a la diligence....